Le cloud souverain français a-t-il besoin d’une stratégie industrielle ?

cacheuxCamille Cacheux
Directeur Général
Coreye

La prise en charge par l’Etat d’une véritable stratégie industrielle dans des secteurs clés de notre économie a connu de multiples exemples depuis les années 60. Certaines de ces initiatives ont été de grands succès, pour l’aéronautique et le nucléaire par exemple. D’autres ont été des échecs, comme le fameux Plan Calcul. Pour l’heure, au vu des résultats annoncés très récemment, la création à l’initiative de l’Etat il y a deux ans du « cloud souverain » français fait hélas partie de la deuxième catégorie.

Malgré le versement de 150 millions d’Euros d’argent public, les ventes des deux nouveaux « géants » français du cloud peinent à décoller, et sont très largement en deçà des objectifs initiaux. Pour l’ensemble de l’écosystème du cloud d’infrastructures (IaaS) et des services managés, ce résultat est pourtant loin d’être une surprise et en vérité, parfaitement logique. Et ce pour trois raisons.

Premièrement, créer à partir de zéro deux mastodontes du cloud, avec des ambitions technologiques très (trop ?) élevées, dépourvus d’expérience client et qui plus est, en attaquant le marché sans offre pour l’un et avec une stratégie décalée par rapport au marché pour l’autre ne pouvait qu’exiger beaucoup d’efforts, de temps et d’argent. Aller plus vite aurait nécessité la mise en place d’une stratégie de startup, ce qui n’a manifestement pas été le cas pour deux entreprises comptant rapidement une centaine de salariés.

En second lieu, car les deux clouds souverains français ont beaucoup investi en deux ans sans pourtant obtenir – ils commencent seulement à y parvenir – ce que les autres acteurs français du cloud d’infrastructures avaient déjà. A commencer par de longues années d’expérience de l’hébergement et de l’infogérance de systèmes informatiques et une connaissance du terrain, complétée par une vraie compréhension des besoins des entreprises. Or cette connaissance et cette compréhension ne s’improvisent pas. D’où des objectifs surdimensionnés et une série d’erreurs stratégiques. Faire migrer les entreprises françaises vers le cloud ne se fait pas en claquant des doigts.

En troisième lieu, car les deux nouveaux acteurs n’ont eu jusqu’à présent ni une stratégie ni un positionnement parfaitement clairs. Quelle offre pour quelle cible ?

Cibler les grands comptes et les marchés publics ? Peu de grandes entreprises ont encore décidé d’externaliser dans le cloud la totalité de leur infrastructure informatique, et la plupart préfèrent migrer application par application, en complément de leur infrastructure interne existante. Pour les grands marchés publics, l’évolution est encore plus lente. En réalité, le vrai marché du cloud d’infrastructures aujourd’hui en France, ce sont les PME. Or dans leur grande majorité, celles-ci ne sont pas adaptées aux grosses structures, et préfèrent des acteurs de proximité qui les rassurent. Elles ont avant tout besoin de support et d’explications : qu’est-ce que le cloud ? Quels sont ses avantages concrets ? Comment gérer la sécurité ? Quelles économies potentielles ? Mais aussi d’accompagnement et de services au quotidien, à la fois pour la migration et pour l’exploitation de la nouvelle solution.

Seule une stratégie exclusivement indirecte, reposant sur des acteurs locaux, proches du terrain, est en mesure de répondre à ces besoins.

Numergy comme Cloudwatt semblent aujourd’hui avoir résolument pris cette direction. Reste pour elles à faire monter en puissance leur réseau de partenaires indirects. Et plus important encore, reste pour elles à clarifier leur positionnement par rapport aux opérateurs de cloud français déjà en place, tels Coreye, Ecritel ou Integra pour ne citer qu’eux.

Disposant désormais d’une offre cohérente, vont-ils se présenter en concurrence directe avec eux, ou au contraire proposer une offre complémentaire de la leur, par exemple plus proche de celle de grands opérateurs internationaux tels qu’Amazon ou Microsoft ? De même, vont-ils continuer à se concurrencer l’un à l’autre, ou avoir chacun leurs propres spécialités ?

De la réponse à ces questions dépend le succès ou l’échec d’une stratégie industrielle dont la pertinence reste encore à prouver.

Espérons toutefois que le succès soit au bout du chemin, afin que l’Etat, donc le contribuable, rentabilise son investissement dans le respect de l’intérêt collectif.

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