En langage « start-up », cela ressemble à une phase d’hypercroissance. Depuis le début de la propagation du virus Covid-19 en France, les jeunes pousses de téléconsultation voient les demandes des patients exploser, avec un pic inédit la semaine dernière alors que les autorités préparent les Français au passage en stade 3 reflétant la libre circulation du virus sur l’ensemble du territoire. Chez Doctolib, la croissance s’est élevée à 40 %, tandis que Medadom et Livi affichent + 50 %. Le compteur risque encore de chauffer avec la mise en place, par un décret dont la publication est prévue ce lundi 9 mars, de l’assouplissement des règles d’accès à cette pratique à peine libérée depuis un an. Le remboursement de la consultation par vidéo ne serait alors plus soumis à une visite physique chez le praticien dans les douze mois précédents l’avis médical effectué via une caméra.
Pour répondre à cette accélération, chacune a choisi d’apporter une réponse précise. Du côté de Doctolib, c’est d’abord un « engagement philanthropique », selon les mots de son PDG, Stanislas Niox-Château. Ce dernier a choisi d’installer l’outil chez les praticiens, de les former et de leur proposer le service sans les facturer pendant les mois de mars et avril. Ce choix coûtera entre 500.000 et un million d’euros, mais permet à la jeune licorne la mise à disposition de 3.500 médecins en vidéo-consultation sur son site, soit un peu moins de 10 % des professionnels utilisant
son service de prise de rendez-vous. « Ce déploiement mobilise une centaine de personnes chez nous, explique le PDG de Doctolib. C’est une décision dure sur le plan économique, mais qui est importante à la vue de la crise sanitaire que nous traversons. »
Cette décision entame aussi les autres projets sur lesquels la start-up travaillait, mais pourrait aussi jouer également en sa faveur. Ce processus accélère la couverture du territoire en téléconsultation et le nombre de médecins abonnés à son service facturé 79 euros par mois : 180.000 actes ont été réalisés avec cette technologie sur Doctolib depuis sa mise en place en janvier
2019. Face à cette même croissance, les concurrents de Doctolib s’organisent aussi : « Il y a les cas recouvrant la symptomatologie du Coronavirus, mais aussi les patients souffrant d’autres choses et ne souhaitant pas se déplacer chez un médecin », indique Maxime Couterman, directeur médical chez Livi (filiale française du suédois Kry). Contrairement à Doctolib, ceux qui pratiquent la téléconsultation avec Livi sont salariés par l’entreprise. En France, elle en compte aujourd’hui 120 médecins, et indique avoir permis 65.000 téléconsultations depuis le lancement du service dans l’Hexagone en septembre 2018. Seulement 50 % de ces dernières ont donné lieu à un remboursement, les autres n’entrant pas dans le cadre juridique qui le permet.
Une situation qui évoluera une fois que le décret sera entré en application, notamment si ce dernier permet de consulter des médecins en dehors de sa région de résidence. « La différence pour nous n’est pas énorme, c’est pour les patients que ça change, il y aura plus de gens qui auront accès à la télémédecine », estime Jonathan Ardouin, directeur général France de Livi. Et Maxime Couterman de se réjouir d’un potentiel changement d’approche de ce mode de consultation en France : « Les bons éléments ressortent du débat, les autorités comprennent au détour de cette crise l’intérêt de profiter de la souplesse d’acteurs nationaux comme nous », estime-t-il.
Chez Medadom, qui salarie également ses médecins, les équipes sont mobilisées pour faire face à une croissance des demandes « qui atteint 100 % depuis hier », indique son fondateur Nathaniel Bern. « Nous avons mobilisé tous les médecins pour qu’ils dédient plus de plages horaires à la téléconsultation, illustre-t-il. Ils sont mobilisés pour faire face à une pression croissante, dans un contexte où les gens font appel à la téléconsultation pour des choses plus graves que d’habitude. »
La start-up Qare, qui revendique 80.000 téléconsultations en 2019, a choisi comme Doctolib de mettre sa solution à disposition des médecins gratuitement le temps de la crise sanitaire. La jeune pousse, chez qui « une grande majorité des téléconsultations ne sont pas remboursées », selon son PDG Olivier Thierry, devrait profiter des mesures à venir. Mais pas question de s’en réjouir. « Nous profitions déjà d’une croissance très accélérée, cette crise nous oblige à mettre les bouchées doubles à court terme pour être en mesure d’y apporter une réponse, mais nous n’avions pas besoin de cette épidémie, et le plus tôt elle sera résolue, le mieux », tranche le directeur de l’entreprise.
Source : Les Échos, 10 mars 2020