Henry-Michel Rozenblum
Délégué Général d’EuroCloud France
Se forger un avis précis et définitif sur la réalité du Cloud Computing en France et en Europe en cette fin d’année 2012 est un exercice probablement impossible, tant les études indépendantes ou commandées présentent des visions contradictoires. Selon une étude publiée au début de l’année par IDC, 93% des entreprises françaises connaissaient, évaluaient ou avaient mis en place des services Cloud. Ce qui faisait de la France le pays d’Europe où la pénétration du Cloud Computing était la plus forte au sein de la stratégie informatique des entreprises.
[pullquote align= »right »]L’une des forces de la France réside aujourd’hui dans sa capacité à innover et à créer de nouveaux usages à l’heure où des économies émergentes nous dépassent dans des secteurs qui formaient dans le passé la base de notre économie.[/pullquote]En mars 2012, le président du Conseil National du Numérique, Gilles Babinet, avertissait qu’avec un PIB numérique en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, la France devrait « changer de braquet » pour espérer combler son retard. Le même mois, le Gartner annonçait qu’en Europe de l’Ouest, la croissance du marché du SaaS (Software as a Service) serait plus forte encore que dans le reste du monde.En Juin, donc seulement trois mois plus tard, le même Gartner, accusait l’Europe d’être à la traîne des Etats-Unis en matière de Cloud Computing. Et voici qu’en octobre, l’étude TNS Sofres/Cloudwatt sur le cloud nous rappelait que l’usage du cloud est peu développé auprès des PME. Pour ma part, je donne plutôt crédit aux analyses de Markess International. Selon ce cabinet, la dépense informatique en services Cloud Computing (Entreprises et secteurs publics) frôlerait les 3 milliards d’Euros en 2012 avec une croissance annuelle à deux chiffres.
Le Cloud, est-ce donc si important ?
A priori « 3 petits milliards d’Euros » comparés aux 100 milliards d’Euros générés par l’industrie automobile française, ne devraient pas nous émouvoir plus que cela. Sauf que l’automobile française est en partie sous perfusion, qu’elle serait déjà morte sans ses usines implantées dans les pays à bas salaires et qu’elle peine à s’adapter aux nouveaux concepts comme les moteurs électriques. Le Cloud Computing présente des caractéristiques inverses : une croissance annuelle forte et soutenue, un foisonnement de start-up innovantes et de fortes embauches d’ingénieurs et de techniciens supérieurs.
Mais l’essentiel est ailleurs : Le Cloud Computing est transversal et au cœur de l’industrie, de l’économie, de la société. Il se retrouve dans tous les secteurs : santé, éducation, sécurité, démocratie participative,… Grâce au Cloud Computing, les PME ont enfin accès à des logiciels et à de la puissance informatique auparavant réservés aux grandes entreprises. Grâce au Cloud Computing et à son principe économique « d’informatique à la demande », les entreprises et le secteur public disposent d’un outil de production qui s’adapte en permanence à leurs besoins et améliore leur productivité. Ne pas être dans le peloton de têtes des pays qui produisent les services de Cloud, c’est hypothéquer l’avenir économique de notre pays.
Le pouvoir politique français a pris la mesure des enjeux.
Les investissements d’avenir lancés par Nicolas Sarkozy et pour l’instant conservés en l’état par les équipes de François Hollande sont un premier élément de réponse. Mais c’est insuffisant et d’aucuns se sont étonnés que pour l’instant ces investissements aient surtout bénéficié à des fleurons de notre industrie des télécoms plutôt qu’à des PME innovantes. Madame Fleur Pellerin a récemment rappelé aux PME que le guichet des investissements était ouvert jusqu’en Juin 2013 et que la banque publique d’investissements devrait prochainement améliorer le dispositif de financement.
Tant mieux mais c’est toujours insuffisant car aujourd’hui la filière du financement est incapable d’adresser tous les besoins, de l’amorçage au capital développement, pour permettre aux entrepreneurs de passer de l’idée à l’entreprise de taille intermédiaire. Le secteur public est un des piliers de notre économie. Or c’est celui qui est le plus en retard dans l’adoption du Cloud Computing. Il faudrait enfin parvenir à mettre en place le fameux SBA « Small Business Act » et lui associer un indicateur de suivi de l’attribution des marchés publics aux PME technologiques.
L’une des forces de la France réside aujourd’hui dans sa capacité à innover et à créer de nouveaux usages à l’heure où des économies émergentes nous dépassent dans des secteurs qui formaient dans le passé la base de notre économie. Le Cloud Computing est par essence une industrie des services innovants. Il faut aller chercher l’innovation et l’intelligence là où elle se trouve le plus : nos universités, nos écoles d’ingénieurs et nos centres de recherches. Or les passerelles de l’université avec le monde de l’entreprise et de l’investissement restent encore trop ténues. Combien d’entreprises du secteur possèdent le réflexe de s’adresser à l’université pour leur R&D comme cela se pratique couramment en Californie ou en Israël ?
Enfin, comment toucher les PME et les TPE supposées hésitantes sur l’adoption du Cloud ? La réponse est très simple sur le plan théorique : il faut convaincre tous ceux qui fournissent l’informatique aux PME, c’est-à-dire ces milliers de petits distributeurs qui quadrillent le territoire et qui jouent le rôle de directeur informatique de leurs clients. EuroCloud France soumettra prochainement au pouvoir public un grand plan de sensibilisation du secteur de la distribution informatique.
L’exemple viendra peut-être de l’Union Européenne
Au dernier forum économique de Davos, Mme Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission Européenne en charge du numérique, a annoncé vouloir la création d’un partenariat visant à encadrer et unifier les achats publics de services cloud computing sur le plan européen. La commissionnaire avait alors précisé que la part des commandes publiques dédiées aux nouvelles technologies représentait désormais 20 % des dépenses informatiques. Mais cette part est très fragmentée et doit faire l’objet d’une harmonisation pour une meilleure intégration grâce à l’adoption d’un cadre règlementaire unifié des achats publics de services de Cloud Computing.
Le 27 septembre 2012, la Commission Européenne annonçait sa nouvelle stratégie visant à «exploiter le potentiel de l’informatique en nuage en Europe». L’ensemble de ces mesures devrait, selon la C.E., faciliter la création 2,5 millions de nouveaux emplois en Europe et contribuer à hauteur de 160 milliards d’euros par an au PIB de l’UE d’ici à 2020. Ce plan de grande envergure a été confirmé par Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, lors de son intervention le 8 octobre à l’ouverture du 3ème congrès d’EuroCloud à Bruxelles. Selon la vice-présidente : « L’Europe doit voir grand.
La stratégie d’informatique en nuage renforcera la confiance des utilisateurs dans les solutions informatiques innovantes et œuvrera à la mise en place d’un marché unique du numérique concurrentiel dans lequel ils se sentiront en sécurité. » L’association professionnelle EuroCloud France et ses 150 sociétés adhérentes ne peuvent que saluer ses initiatives européennes et conseiller nos dirigeants français de s’en inspirer, voire de les devancer en gardant à l’esprit trois priorités :
- Soutenir l’innovation et en particulier le financement de l’amorçage ;
- L’orientation de l’achat public vers les PME innovantes ;
- La mutation des acteurs de la Distribution pour toucher les PME utilisatrices.