Jean-Michel Bérard
Président du Directoire d’Esker
Vous avez dit « Nuage » ?
Le monde de l’informatique est coutumier des « Buzzwords » que les acteurs du marché s’approprient au mieux de leurs intérêts jusqu’à ce que ces mots finissent par perdre tout leur sens. C’est ce qui est arrivé récemment au « Cloud Computing » ou « Informatique en nuage ». Tout le monde en parle et se targue d’en faire mais sa véritable signification est-elle réellement connue de tous ? Ce n’est pas certain lorsque l’on voit l’usage intempestif qui en est fait et le flou grandissant qui règne autour de ce terme.
Alors, comment définir le Cloud précisément ? Rappelons d’abord ce qui peut sembler une évidence : au-delà de ses aspects techniques, la principale finalité de l’informatique est d’accroître la productivité des acteurs économiques. Définir le Cloud, c’est donc expliquer en quoi il améliore l’impact de l’informatique dans l’économie en analysant ses bénéfices directs et indirects. C’est d’ailleurs de cette manière que sont jugés la plupart des projets informatiques.
La principale caractéristique du Cloud par rapport à l’informatique traditionnelle est la mutualisation entre organismes utilisateurs de ressources (matériels, logiciels, exploitation). Cette mutualisation permet de diminuer le coût unitaire de chaque transaction et par conséquent d’offrir des solutions informatiques plus abordables et plus accessibles à un public plus large (PME, TPE, particuliers). Cette mise en commun des ressources a été rendue possible par le déploiement massif du réseau Internet au cours de ces dernières années.
En fonction du degré de mutualisation, les bénéfices induits varient sensiblement, les choix étant faits par les utilisateurs en fonction de leurs contraintes et de leurs stratégies propres. Ainsi, le ciel du Cloud s’éclaircit lorsqu’on s’aperçoit qu’il n’existe pas un Cloud mais bien plusieurs Clouds.
Des Nuages ? Quels Nuages ?
Si, plutôt que d’exploiter quatre applications différentes sur quatre ordinateurs distincts, une entreprise décide de les faire fonctionner simultanément (dans des machines virtuelles par exemple) sur un matériel unique et plus puissant, elle aura opéré une première mutualisation de ses ressources informatiques en créant un « Cloud » de premier niveau. L’économie réalisée sera égale à la différence entre le coût complet de fonctionnement du nouveau serveur et la somme des coûts des quatre petits ordinateurs qui demandent, en outre, un peu plus de temps d’administration et d’énergie.
Si cette même entreprise acquiert un serveur (ou un groupe de serveurs) encore plus puissant pour y héberger toutes ses applications et celles de ses filiales, elle aura créé un « Cloud Privé ». Elle augmente encore ses économies en mutualisant à l’échelle du groupe les coûts d’achat, d’administration, d’énergie et de maintenance des petites machines dispersées qu’elle aura remplacées.
Elle peut pousser encore plus loin cette démarche en « louant » de la capacité informatique à un prestataire extérieur pour y installer ses applications. Dans ce cas, on parle de Cloud Public de type IaaS (Infrastructure as a Service). L’entreprise cliente s’affranchit complètement de l’acquisition du matériel ainsi que de son administration en se reposant sur l’infrastructure établie et maintenue par son partenaire. Le prestataire, qui réalise également des économies d’échelle en mutualisant son investissement avec d’autres clients, lui facture en échange une redevance qui, sur la durée, sera généralement inférieure à la somme que l’entreprise aurait investi dans l’achat et l’exploitation de son propre matériel.
Un éditeur de logiciel peut faire de même avec ses clients. Plutôt que de leur demander d’investir dans du matériel informatique pour y installer ses propres logiciels, il peut acquérir lui-même un serveur puissant afin d’y héberger ses logiciels pour ses clients. Il mutualise pour eux le coût d’acquisition et d’administration du matériel ET du logiciel qu’il répercutera dans son abonnement ou sa tarification à l’usage. On parle alors d’un Cloud Public de type SaaS (Software as a Service).
Mais l’éditeur de logiciels peut décider d’aller encore plus loin. Plutôt que de maintenir autant d’applications qu’il a de clients, il peut vouloir n’exploiter qu’une seule instance de son logiciel pour gérer tous ses clients à la fois. Cela lui permettra d’effectuer en une seule opération les mises à jour logicielles qui sont nécessaires à l’évolution de sa solution. On parle alors de Cloud Public de type SaaS Multi-Tenant. Cette mutualisation des montées de version en sus des matériels et des logiciels lui permettra d’offrir des économies substantielles à ses clients. Elle lui permettra également de rendre sa solution abordable voire gratuite pour des clients plus petits (PME, TPE, particuliers) ou sans compétences informatiques. Il est couramment admis que les dépenses liées à l’utilisation d’une offre Cloud Saas Multi-tenant sur cinq ans sont deux fois moins élevées que le coût total de possession d’une solution informatique traditionnelle. Les économies se font essentiellement sur les charges d’administration de la solution (installation, formation, administration des serveurs, sauvegarde, dépannage, montées de version).
Les différents types de Cloud peuvent donc être résumés comme suit :
Niveau de mutualisation | Type de Cloud | Economies |
Un peu de matériels en interne | Virtualisation | |
Beaucoup de matériels en interne | Cloud Privé | * |
Matériels chez un prestataire | Cloud Public | * |
Matériels et logiciels chez l’éditeur | Cloud Public SaaS | ** |
Matériels, logiciels et montées de version chez l’éditeur | Cloud Public SaaS Multi-Tenant | *** |
Tout comme le ciel peut abriter des petits nuages d’été mais aussi de lourds cumulo-nimbus, plusieurs sortes de Cloud informatique peuvent coexister. C’est, en fait, la principale raison pour laquelle ce nouveau terme informatique est devenu aussi « nébuleux ». Tous les acteurs qui peuvent justifier d’une forme de mise en commun des ressources informatiques peuvent prétendre offrir une solution Cloud. Cependant, il convient de mesurer le niveau de mutualisation pour en apprécier le véritable intérêt économique.
L’objectif n’est pas de faire du Cloud pour le plaisir ou pour être à la mode mais bien pour obtenir un service à un prix plus abordable.
Derrière les Nuages, un cercle vertueux de bénéfices
Au-delà de l’avantage économique qu’elle procure et qui peut justifier à lui seul de l’intérêt du Cloud, la mutualisation des ressources informatiques enclenche un cercle vertueux qui a pour effet d’améliorer le service rendu à ses utilisateurs.
L’éditeur de logiciels ou l’opérateur d’infrastructure étant payé à l’usage plutôt qu’une seule fois au lancement du projet, la qualité de son service s’améliore mécaniquement. Il doit, en effet, s’assurer en permanence du bon fonctionnement de sa solution au risque de voir ses revenus disparaître.
Du point de vue de l’infrastructure mise en oeuvre, l’éditeur n’a qu’une seule plateforme à gérer. Il peut donc, par exemple, investir dans un service de surveillance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 de manière à garantir un niveau de disponibilité répondant aux standards les plus élevés du marché.
Pour la même raison, il doit sécuriser son infrastructure et ses accès avec les dernières technologies disponibles et obtenir des certifications (ISAE, SSAE, HIPAA, Safe Harbor, PCI…) que seules les très grandes entreprises pouvaient s’offrir auparavant, et qui deviennent donc accessible à tous grâce au Cloud.
Pour ce qui concerne le logiciel lui-même, l’éditeur n’a là aussi qu’une seule version à maintenir. Ainsi les dysfonctionnements, les manques fonctionnels mais aussi les améliorations demandées par certains utilisateurs sont rapidement corrigés ou développés et bénéficient automatiquement à l’ensemble de la communauté des clients. Une collaboration active s’instaure entre l’éditeur et ses clients mais aussi à l’intérieur de la communauté des utilisateurs. Cette proximité avec les utilisateurs permet également à l’éditeur de développer des interfaces plus simples et d’autoriser ses clients à personnaliser la solution par eux-mêmes en évitant ainsi des frais de consulting et de formation.
Encore des économies !
En fait, la mutualisation portée par le Cloud autorise l’industrialisation du logiciel, ce qui permet à ses utilisateurs d’accéder non seulement à un service plus économique mais aussi de bien meilleure qualité.
Et encore plus loin derrière les nuages
Avec le Cloud, la plateforme est ouverte sur Internet. Les utilisateurs peuvent y avoir accès jour et nuit ce qui autorise le travail à domicile mais aussi le développement d’applications mobiles qui peuvent facilement s’y connecter. Le Cloud répond donc facilement aux nouvelles pratiques de consommation de l’information.
Les applications Cloud se déploient facilement, par exemple, auprès de tous les employés d’une entreprise quel que soit leur nombre et leur localisation sur la planète. En un temps record, les salariés d’un groupe mondial peuvent bénéficier d’une application unique et collaborer efficacement en s’affranchissant des distances et des frontières. Ces mêmes applications peuvent également être déployées auprès de tous les partenaires de l’entreprise utilisatrice (clients, fournisseurs…) et constituer un réseau de collaboration inter-entreprises au sein duquel les membres peuvent s’échanger facilement des informations, des documents, des paiements, ou même conclure directement des affaires.
De telles plateformes finissent par accumuler des volumes considérables de données et justifient l’existence de nouvelles technologies telles que le « Big Data » ou le « Machine Learning » qui permettent aux utilisateurs de profiter de nouvelles fonctionnalités.
En fait, le Cloud ouvre sans cesse de nouveaux horizons qui, pour la plupart, restent encore à inventer. C’est ce qui fait que le Cloud constitue en soi une véritable révolution et aussi ce qui le rend difficile à appréhender. Au-delà d’un meilleur service au meilleur prix, c’est aussi un changement complet de paradigme pour l’industrie informatique et celle du logiciel en particulier.